Le jeudi 11 janvier 2018 la classe d’hypokhâgne est allée visiter le site de Sillac des usines Leroy-Somer, l’un des leaders mondiaux de la fabrication de moteurs (transformant l’électricité en énergie mécanique) et d’alternateurs (transformant l’énergie mécanique en énergie électrique) et appartenant aujourd’hui, depuis 2016, au groupe japonais NIDEC.
Cette visite a été très intéressante a de multiples points de vue.
Cette visite illustre, tout d’abord, fort bien l’histoire économique récente de notre pays :
Le démarrage lors de la seconde Révolution Industrielle (1919) autour d’un véritable capitaine d’industrie, Monsieur Marcellin Leroy, à une époque où la logique industrielle est encore de privilégier l’intégration des process de fabrication de la chaudronnerie à la fonderie, de l’usinage au bobinage et la fabrication des pièces en plastiques.
-L’essor de l’entreprise durant les 30 glorieuses avec un chiffre d’affaire qui va passer durant cette période, de 250 milliards à plus d’un milliard d’euros et qui verra la construction de la fonderie de Rabion et des usines des Agriers et de Mansle, ainsi qu’en 1973 sa cotation à la Bourse de Paris.
La confrontation à la mondialisation, accélérée par le rachat d’Emerson (1990), avec la multiplication des sites de production (Chine, Inde, Mexique, Etats-Unis, Europe de l’Est avec notamment la république tchèque qui représente aujourd’hui les deux-tiers de la production). Le groupe emploie aujourd’hui près de 10 000 personnes dans le monde entier. C’est aussi durant cette période que l’externationalisation des activités industrielles se met en place, l’entreprise préférant acheter à des sous-traitants et faire découper au préalable ses pièces que de les fabriquer elle-même même si aujourd’hui le nouveau directeur du groupe Nidec ré-insiste un peu sur l’intégration des process.
La crise de 2008 qui a vu l’activité du groupe presque divisée par deux et qui s’est traduite par la tentation de fermetures de nombreux sites en France dont celui de Sillac (200 salariés alors qu’il en a accueilli près de 1000 dans les années 1960) jugés trop petits de par la conformité des lieux et le développement de sites étrangers au coût de production moindre. Si le site de Sillac a pu se maintenir, jusqu’à aujourd’hui, c’est grâce à l’adaptation des jours et heures de travail des salariés en fonction de l’activité.
Par ailleurs la dimension sociale de l’entreprise et son inscription dans le patrimoine urbain de la ville, conforme à l’esprit qu’a inculqué son fondateur Marcellin Leroy en 1919 et qu’a poursuivi son successeur Georges Chavannes, est l’un des aspects les plus intéressants et émouvants de la visite. Elle s’observe dès l’origine par la construction de l’usine à laquelle ont participé les premiers ouvriers à une époque où les tâches de l’ouvrier sont encore très polyvalentes. Le site de Sillac construit au pied du plateau d’Angoulême le long de la voie ferrée reliant Angoulême à Bordeaux dans un environnement encore, à l’époque, très champêtre constitue le site originel des usines Leroy-Somer répartis aujourd’hui, comme nous l’avons vu plus haut, dans 4 autres sites autour d’Angoulême. Cette dimension sociale s’observe également par la création au sein même du site d’un gymnase, d’un cinéma, d’une bibliothèque, de diverses œuvres sociales dont la possibilité de prendre des cours d’anglais (et auxquelles ont participé, jadis, certains de nos collègues d’anglais), mais aussi par l’offre de participation aux bénéfices que sut mettre en place Marcellin Leroy. Néanmoins avec l’internationalisation progressive du groupe Leroy-Somer (Emerson en 1990 et Nidec depuis 2016) et le fait qu’aujourd’hui Leroy-Somer ne représente plus que 2000 emplois sur Angoulême, 3000 en France, soit le tiers des salariés de Leroy-Somer l’enjeu est de maintenir cette tradition sociale et cette identité du groupe dans des pays marqués par des histoires sociales fort différentes.
Enfin cette visite nous a permis de réfléchir, en géographe, à ce que représente et implique encore l’industrie et le tissu industriel : l’innovation et la recherche de la qualité, le savoir-faire stratégique, le maintien de l’emploi local. L’innovation d’abord est à base de toute activité industrielle et pas seulement celles associées aux hautes technologiques ; la nouvelle conception du design des machines pour les rendre plus opérationnels et en limiter les coûts fait partie de la nécessaire innovation au service du développement pour s’imposer sur les marchés mondiaux. De même la montée en gamme exige une qualité croissante et une réduction constante de la marge d’erreurs et de défauts qui se mesurait avant à un moins d’un 1% près et dont l’unité de mesure est plutôt aujourd’hui la partie par million. Tout process industriel représente aussi un savoir-faire industriel qu’il convient de préserver y compris et surtout sur l’espace national pour des raisons stratégiques. Les alternateurs Leroy-Somer équipent par exemple les TGV d’Alstom pour alimenter le réseau électrique de la rame ou certains navires marchands ou militaires pour la même raison, les groupes électrogènes des hôpitaux, les moteurs des éoliennes, les centrales nucléaires, mais aussi L’E-Mehari, la voiture électrique fabriquée par PSA. Ne plus pouvoir ou savoir fabriquer des alternateurs sur place placerait la France en dépendance de fournisseurs étrangers pour des activités aussi stratégiques que les transports ou l’énergie. Enfin et ce n’est pas là un moindre point, l’industrie continue de représenter une gamme d’emplois divers au service de la réalisation de beaux produits intégrant une réelle dimension technologique, comme les alternateurs. L’activité économique ne peut pas se limiter à vendre des services. Par ailleurs Leroy-Somer fait également et indiscutablement partie du patrimoine urbain et de l’identité d’Angoulême et doit être défendu en tant que tel.
Leroy-Somer constitue donc un exemple de réussite du savoir faire industriel français, initié par un capitaine d’industrie Marcellin Leroy, savoir-faire qui a permis au groupe de s’internationaliser de connaître des fusions acquisitions et de s’inscrire parfaitement aujourd’hui dans la mondialisation. Au sein de la cour des bâtiments du site de Sillac l’on peut lire que « le ciment de cette réussite a été l’union autour du chef, la persévérance et la foi en l’avenir ». Un bel aphorisme que l’on pourrait appliquer aujourd’hui à d’autres structures comme le lycée Guez de Balzac par exemple. Enfin qu’il me soit permis de souligner que cette visite n’aurait pas été possible sans l’accueil de Monsieur Jérôme Bléneau ni les recommandations de Monsieur Georges Chavannes et l’aide de mon collègue Alain Lacouture, qu’ils en soient vivement remerciés.